Chroniques, Films, Visionnages

Captain Fantastic // Matt Ross ► De l’utopie à la réalité

De temps en temps ça fait du bien de découvrir des œuvres qui nous questionnent sur notre société et nos modes de vie. Parce qu’on a trop souvent tendance à prendre les choses pour argent content et ne jamais les remettre en cause, alors que nous sommes tous sensés être les acteurs de nos vies et des citoyens responsables. Captain Fantastic fait partie de ces films qui, le temps d’un visionnage, nous invitent à sortir des rails et comparer la couleur de l’herbe ailleurs.


captainDans les forêts reculées du nord-ouest des Etats-Unis, vivant isolé de la société, un père dévoué a consacré sa vie toute entière à faire de ses six jeunes enfants d’extraordinaires adultes.

Mais quand le destin frappe sa famille, ils doivent abandonner ce paradis qu’il avait créé pour eux.

La découverte du monde extérieur va l’obliger à questionner ses méthodes d’éducation et remettre en cause tout ce qu’il leur a appris.


Ben et moi on a créé une chose probablement unique dans toute l’histoire de l’humanité. On a créé un paradis sur terre inspiré de la république de Platon. Nos enfants seront des philosophes rois et cela me procure un bonheur indescriptible.

Nous faisons la connaissance d’une famille nombreuse dont les parents, Ben et Leslie, ont fait le choix d’un mode de vie alternatif : habitat dans les bois totalement coupé du monde, alimentation du fruit de l’environnement, instruction à domicile… 

En l’absence de la mère, qui est hospitalisée, c’est le père qui assure seul l’éducation de ses enfants.

web-captain-fantastic_rgb

D’emblée nous sommes confrontés à la brutalité, la violence et la rigueur que demande un tel mode de vie. Car il ne s’agit pas de jouer les hippies dans les bois: les six enfants, même les plus jeunes, chassent à main nue pour se nourrir, manipulent des armes blanches comme des jouets et sont entraînés à tuer par tous les moyens. Ce qui pourrait être un doux foyer bucolique, ressemble à un camp de survie peuplé de petits sauvageons. Enfin, de notre point de vue. 

Car les enfants n’en ont pas conscience, ils n’envisagent pas la situation avec les mêmes repères que nous. C’est probablement le seul mode de vie qu’ils aient connu, leur normalité, ils s’en accommodent très bien. Il autorise même des moments de grâce, de partage et de communion uniques quand, par exemple, toute la famille se retrouve le soir au coin du feu et improvise un air de musique.

– Je m’appelle Claire.
– Bodevan.
– Bodevan ? Attends c’est quoi ce prénom ?!
– Mes parents l’ont créé pour moi.
– C’est bizarre, pourquoi ?
– Nos prénoms sont uniques, comme ça on est les seuls à les porter.
– C’est trop bizarre…

Malgré la dureté de ce mode de vie, il y a beaucoup d’amour, à n’en pas douter. Un amour aussi grand que le père est exigent.

Interprété par un Viggo Mortensen parfait dans ce rôle, il nous fait l’effet d’un dictateur. Poussant ses enfants dans leurs derniers retranchements en leur imposant sans les consulter une hygiène de vie irréprochable, un entrainement physique de haut niveau et des valeurs par une éducation ouverte et pointue dès le plus jeune âge, c’est une figure qu’il est difficile d’aimer au départ.

Pourtant, à sa manière de Captain Fantastic, il essaie de les protéger, tout en leur donnant les meilleurs « armes » pour survivre.

5733652lpw-5733711-article-jpg_3832218

Son but est d’élever des enfants physiquement sains, humainement plus riches, capables de porter un regard critique et de réfléchir par eux-mêmes, pour ne pas s’enfermer dans les carcans d’une société américaine jugée décadente et corruptrice (obésité galopante, capitalisme extrême, consumérisme exacerbé, mépris de l’environnement…). Des êtres libres et respectueux.

Je sais rien du tout. Je sais rien de rien ! Je suis une bête de foire parce que tu l’as voulu ! Tu nous as transformés en bêtes de foire ! Maman le comprenait ça, elle s’en rendait compte ! Si ça ne sort pas d’un putain de bouquin, j’y connais rien !  Je suis complètement largué !

Cependant, toute louable que soit cette démarche, elle a de sérieuses limites.

La première étant, que, totalement coupés du monde, ils sont socialement inadaptés. Il suffit de voir le comportement de l’aîné, Bodevan, pour le comprendre: capable de débattre sur les théories des plus grands philosophes, de tuer un animal à mains nues avec un sang froid impressionnant, il reste tétanisé, mort de peur, devant une fille. 

La seconde, et non des moindres, étant qu’arrivés à un certain âge les enfants sont supposés commencer à faire leurs propres choix, prendre leurs propres décisions, souvent en opposition aux parents. Dans ce système où tout leur est imposé, le père a du mal à lâcher prise et s’obstine à les formater à sa façon. Une façon de faire incompatible avec l’idée même de liberté.

On sent couver un mécontentement chez la moitié adolescente de la fratrie, qui n’attend qu’une petite étincelle pour exploser au grand jour. C’est le décès de la mère et le retour à la civilisation pour ses funérailles qui va s’en charger.

– Il faut vraiment être débile pour célébrer la naissance de Chomsky comme si c’était une fête nationale ! On pourrait pas simplement fêter noël comme tout le monde ?!
– Tu préférerais quoi ? Qu’on rende hommage à un être magique imaginaire ? Plutôt qu’à un humaniste qui existe et qui a tant fait pour la promotion des droits de l’homme et du savoir ?

Dès lors, nous ne pouvons que noter le décalage entre les adolescents américains typiques et ces enfants hors normes qui ne comprennent pas l’étiquette et les codes qui régissent la société extérieure, devenant sujet de moqueries, émotionnellement blessés.

Bien sûr, difficile de s’empêcher d’en rire, mais quelque part une préoccupation sincère pour l’avenir de ces gosses s’en mêle et serre le cœur: que feront-ils quand leur dernier parent ne sera plus et que cette bulle éclatera ? Le fait qu’ils soient eux-mêmes conscients de ce problème rend la réponse encore plus douloureuse.

captain_fantastic

Pour un film qui s’aventure sur des sujets autant propices à discussion et opposition, j’ai trouvé Captain Fantastic étonnamment peu moralisateur. Il se contente de montrer les limites de tous les systèmes et laisse le spectateur tirer ses propres conclusions. Ce faisant, il soulève des questions pertinentes.

Qu’est-ce qu’un enfant ? Un adulte en devenir à qui on se doit d’inculquer tout de suite la dureté de la vie sans tabou et les valeurs qui lui permettront de prendre de bonnes décisions ? Dans ce cas, que fait-on de la légèreté et de l’insouciance ? Que deviennent les rêves d’enfance et les amusements ?

Ou bien, est-ce un être incomplet et innocent qu’il faut préserver de tout et nourrir de croyances populaires jusqu’à un certain âge ? Mais en agissant ainsi est-ce qu’on ne dévaluerait pas l’enfant et son intelligence ? Est-ce qu’on ne contribuerait pas à saper un être prometteur ?

– Mais pourquoi on ne peut pas rester avec toi ?
– Parce que, si je vous garde je vais bousiller vos vies.

Et un bon parent, c’est quoi ? Ben se croit un bon parent, sa soeur et son mari se croient de bons parents aussi. Mais aucun ne l’est. 

Comme bien souvent, il n’y a pas de réponse toute faite ni de modèle type. La perfection est question de perception et de convictions, il est très facile de tomber dans les excès et les extrêmes sans s’en apercevoir. 

captain-fantastic-5

Au final j’ai passé un très bon moment devant ce portrait atypique d’une famille à la liberté insolente, qui m’a offert des rires, de l’émotion et une réflexion très profonde sur l’éducation et le rôle des parents, mais aussi sur le droit à la différence, sans jamais m’ennuyer un instant.

Les autres films de Matt Ross / Les autres films de Viggo Mortensen

jukebox-corner-notation-3-pommes-et-demi


Année: 2016 / Casting:   Viggo Mortensen (Ben), George MacKay (Bo), Samantha Isler (Kielyr), Annalise Basso (Vespyr), Nicholas Hamilton (Rellian), Shree Crooks (Zaja), Charlie Shotwell (Nai) / Musique: Alex Somers / Spécial: Festival de Deauville prix du jury & prix du public / Durée: 1h58

Laisser un commentaire